ÉPISODE n°5 :

BATAILLE DE GUADALETE :
UNE VICTOIRE COMMUNE ?

Siroo récits Coexistence Victoire Commune

Temps de lecture : 6 minutes

An 711

Nous l’avons dit précédemment : 711 est une date importante dans l’Histoire de l’Humanité. Ce sont les débuts d’Al Andalus, une civilisation qui va briller pendant des siècles en Europe. Tout a débuté par un affrontement décisif : la bataille de Guadelete.

Qui était les protagonistes de ce conflit ? Quels sont les forces se sont opposés ? Qui a gagné ? Qui a perdu ? N’est-ce qu’une énième bataille entre Musulmans et Chrétiens ? Entre Occident et Orient ?
Tariq Ibn Zyad est le gouverneur de la ville de Tingus/Tanger tout au nord de l’Afrique. Il y a été nommé par les Omeyyades. Cette dynastie arabo-musulmane est à son apogée. Elle est à la tête un empire immense qui va de l’Indus aux rives de l’Atlantique, du Caucase à la Nubie.

LES « 10000 »

 En 711, Tariq, après moultes réflexions et consultations, décide de franchir le détroit qui sépare sa ville, Tingus/Tanger, de l’Hispanie, en face, juste quelques kilomètres, de la pointe nord de l’Afrique à l’extrémité sud de l’Europe.

Il ne faut pas s’imaginer une invasion de millions d’Arabes avec femmes et enfants montés sur des chevaux et des chameaux, qui après avoir dévasté toute l’Afrique du Nord, vont déferler sur l’Europe grâce à une immense flotte de navires.

Tariq n’est à la tête que d’une petite armée composée d’une dizaine de milliers de Berbères d’Afrique du Nord. Il n’y a pas de Sarrasins, pas de bédouins venus d’Arabie ou de Compagnons du Prophète ﷺ mais juste une poignée d’Arabes Musulmans venus enseignés l’Islam à ses « 10000 » Berbères, nouveaux Musulmans ne parlant pas la langue arabe pour la plupart.

Le débarquement est lent et progressif : il dure plusieurs jours. C’est une opération militaire limitée, très modeste. Tariq n’utilise que quelques embarcations sommaires qu’on lui a mise à disposition. Pour réussir cette opération, il prend le temps de fortifier le premier promontoire rocheux qu’il rencontre, juste en face de Tanger, une petite colline, un « Djebel » qu’on appellera plus tard du nom de ce général, « Djebel Tariq », la colline de Tariq, qui donnera en Français « Gibral-Tar ».

Après quelques raids d’exploration et assistés par des guides locaux connaissant le sud de la Péninsule Ibérique, les « 10000 » s’enfoncent doucement dans les terres en évitant soigneusement Cordoue, la grande ville du Sud avec son importante garnison militaire.

Le roi Rodrigue : un tyran wisigoth

Car Tariq se méfie des guerriers wisigoths. Ces farouches « Barbares » germains contrôlent quasiment l’ensemble de la péninsule ibérique depuis le Vème siècle. Ils ont conquis ce territoire lors des « Invasions barbares » qui ont mis fin à l’Empire Romain en Occident. Les Wisigoths constituent une aristocrate guerrière qui dominent une écrasante majorité d’Ibères, principalement des paysans sédentarisés, civilisés et gouvernés depuis des siècles par des Étrangers : phéniciens, cantignois, romains, aujourd’hui wisigoths et demain, arabo-berbères.

Cette aristocratie maintient volontairement cette étrangeté à travers des particularismes qui identifient clairement les dominants et des dominés. Les Wisigoths ont une langue différente, s’habillent différemment, … Pendant longtemps, cette élite guerrière ne partageait pas non plus la même religion que la majorité de la population : les wisigoths sont chrétiens comme les Ibères mais les premiers sont ariens et les seconds catholiques romains. L’aristocratie germanique domine et surtout s’enrichit du fruit du labeur des Ibères.

A la tête des Wisigoths, on trouve un roi. En 711, il se nomme Rodrigue. Il a arraché le pouvoir en faisant couler le sang. Il domine cette élite guerrière par la terreur. La minorité juive, importante à cette époque en Hispanie, subit aussi sa répression et ses persécutions. Rodrigue est un tyran, illégitime aux yeux de beaucoup d’aristocrates wisigoths, dont certains souhaitent ardemment se venger de ses méfaits.

David contre Goliath

Ces tensions au sein de l’aristocratie wisigothique sont connus de Tariq Ibn Zyad qui souhaite bien en profiter. Nous voyons très clairement que la situation est plus complexe que ce qu’on imagine. Et lorsque les « 10000 » Berbères débarquent, Rodrigue est au Nord de la Péninsule Ibérique. Il guerroie une fois de plus contre les « Vascons », ancêtres des Basques, qui, hier comme aujourd’hui, sont très attachés à leurs indépendances. C’est tout le nord de la Péninsule qui résiste au pouvoir wisigoth comme il a résisté auparavant aux Romains et comme il résistera plus tard, encore et encore, aux armées arabo-berbères.

Rodrigue est d’abord incrédule quand on lui annonce le débarquement des Berbères. Il craint le complot et pense qu’on veut le duper. Mais la menace se confirme de plus en plus, Rodrigue décide donc d’interrompre sa campagne, de mobiliser les guerriers wisigoths et de foncer au Sud pour détruire les « 10000 ».

Cette période de latence est mise à profit par Tariq Ibn Zyad pour préparer l’affrontement et peaufiner une stratégie. Il choisit soigneusement le lieu de la bataille. Conscients de l’infériorité numérique de son armée, il positionne les Berbères entre des obstacles naturelles afin de limiter l’impact de l’armée wisigoth. On a souvent surestimé le différentiel entre les deux armées. Certains ont avancé que les guerriers wisigoths étaient plus de 100 000. Ces chiffres sont exagérés. Mais les wisigoths sont probablement deux voire trois plus nombreux que les Berbères. De plus, le roi Rodrigue dispose d’une importante et efficace cavalerie composée notamment de l’aristocratie wisigothique. À l’inverse, les « 10000 », venant tout juste de débarquer, n’ont que peu de moyens militaires, peut-être quelques chevaux tout au plus.

 

La résistance berbère

Pour le roi Rodrigue, la victoire est assurée notamment en raison de la supériorité militaire des wisigoths, de leur avantage numérique et surtout de la puissante cavalerie, capable à elle seule de vaincre les Berbères. Pour Tariq, il se sait acculé et à conscience qu’en cas de défaite, loin de ses Terres, c’est la mort qui les attend lui et ses compagnons. Les auteurs arabo-musulmans rapportent souvent un discours émouvant qu’il attribue à Tariq Ibn Zyad qui l’aurait prononcé peu de temps avant la bataille. On doute aujourd’hui de son authenticité mais il résume quand même clairement l’enjeu vital que représentait cette bataille pour les Berbères :

« Ô gens, où est l’échappatoire ? La mer est derrière vous, et l’ennemi devant vous,
et vous n’avez par DIEU que la sincérité et la patience … »

Le combat va donc s’engager. Rodrigue lance ses fantassins à l’assaut des Berbères qui sont alignés sur le champ de bataille. Le choc est violent. On compte de nombreux morts dans les rangs Berbères. Mais ils tiennent bon et repoussent même l’assaut wisigoth. Les jours suivants, le même scénario se répète. Malgré la fatigue et les morts, les « 10000 » résistent, calvinisés par leur général.

Après plusieurs jours de combat, Rodrigue est convaincu que les Berbères n’ont plus la capacité de résister. Les « 10000 », fatigués par plusieurs jours d’affrontements et voyant les morts s’accumuler, tomberont face aux charges des cavaliers wisigoths. Rodrigue mènera lui-même, avec sa garde personnelle, l’élite de l’armée wisigoth, un assaut généralisé de l’ensemble de l’armée wisigoth, fantassins et cavaliers. Il ordonne aux autres aristocrates qui constituent les ailes de l’armée wisigothique de se joindre à lui dès qu’il lancera la charge. Ainsi, ils massacreront une fois pour cette armée d’envahisseurs.

David a vaincu Goliath

Le jour se lève. Les Berbères attendent avec peur et angoisse l’armée wisigoth. Ils craignent ses cavaliers renommés ayant déjà vaincus de nombreux ennemis. Rodrigue lance ces fantassins comme les jours précédents à l’assaut des Berbères … Mais cette fois, il charge lui aussi avec ses cavaliers. Il fait aussi signe à ces deux ailes de se joindre au mouvement et d’attaquer eux aussi les Berbères.

Mais alors qu’il combat, il ne voit pas arriver les autres cavaliers wisigoths. Rodrigue les cherche désespérément : où sont-ils ? Un vent de panique s’empare alors des wisigoths. Que se passe-t-il ? Pourquoi une partie de larmée a disparu ? Ont-ils craint des renforts berbères ? ou pire : N’ont-ils pas trahi ? La peur s’infiltre dans les rangs wisigoths qui se disloquent.

Et c’est à cet instant précis que Tariq Ibn Zyad décide de contre attaquer. Attendant patiemment ce moment-là, il surgit et pousse les Berbères à sortir de la position défensive qu’ils avaient eu depuis le début de la bataille. Les soldats wisigoths fuient et une rumeur se répand : le roi Rodrigue est mort, tué par le général berbère, Tariq Ibn Zyad. La bataille est terminée, les « 10000 » Berbères ont vaincu l’ogre wisigoth. Une fois de plus, David a vaincu Goliath. Et la victoire est éclatante et déterminante, nous le verrons dans les prochains épisodes.

 

Une victoire commune ?

Que s’est-il donc passé ? Pourquoi une partie de l’aristocratie wisigothique chrétienne a refusé de combattre les soldats berbères musulmans ? Pourquoi ont-ils refusé de soutenir leurs coreligionnaires face aux Infidèles ? Ont-ils renié leur Foi au Christ ? Ont-ils apostasié ? Sont-ils devenus des Musulmans ?

Beaucoup aujourd’hui résument l’Histoire de l’Humanité comme une suite interminable de conflits, de clashs entre civilisations notamment entre Occident et Orient, entre Musulmans et Chrétiens. Les guerres seraient la conséquence des religions qui divisent et incitent au Jihad, aux croisades, … La bataille que nous avons décrit n’est pas un combat qui a opposé des Musulmans et des Chrétiens. Et c’est cela qu’il faut percevoir pour comprendre la réalité de ces évènements qui sont survenus. Ce qui s’est joué lors de cette bataille, c’est la suprématie politique.

Des Chrétiens ont soutenu par leurs défections des Musulmans parce qu’ils étaient profondément opposés au pouvoir en place, la tyrannie de Rodrigue. Que ce soit pour des motivations personnelles, pécuniaires ou morales, les aristocrates chrétiens qui ont discuté avec les Musulmans, se sont entendus avec eux et qui les soutenus indirectement voulaient la mort de Rodrigue et n’étaient pas opposés à l’établissement d’un nouveau pouvoir même si les nouveaux dirigeants ne partageaient pas leurs convictions religieuses. Les Musulmans n’ont pas vaincu les Chrétiens lors de cette bataille mais ont gagné grâce et avec eux… C’est une Victoire commune.

Mouad AZZA

« Récits de la coexistence en Europe »

Découvrez
nos autres récits

NEWSLETTER

Siroo-Pierre Vivre-Ensemble

Recevez deux fois par mois notre newsletter avec les nouveaux épisodes de notre magazine :

« Récits 

de la coexistence

en Europe » 

ainsi que nos conseils, nos offres,…